Saint Bonaventure
Du fruit que l’on retire de l’oraison.
« Si vous voulez souffrir avec patience les adversités et les misères de cette vie, soyez homme d’oraison. Si vous voulez acquérir la vertu et la force pour vaincre les tentations de l’ennemi, soyez homme d’oraison. Si vous voulez faire mourir votre volonté propre avec toutes ses affections et ses désirs, soyez homme d’oraison ; si vous voulez connaître les ruses de Satan et vous défendre de ses pièges, soyez homme d’oraison ; si vous voulez vivre, l’allégresse dans le cœur, et marcher avec suavité dans le chemin de la pénitence et du sacrifice, soyez homme d’oraison. Si vous voulez chasser de votre âme les mouches importunes des vaines pensées et des vains soucis, soyez homme d’oraison ; si vous voulez nourrir votre âme de la sève de la dévotion, et l’avoir toujours remplie de saintes pensées et de bons désirs, soyez homme d’oraison. Si vous voulez corroborer et affermir votre cœur dans la voie de Dieu, soyez homme d’oraison. Enfin, si vous voulez déraciner de votre âme tous les vices et planter à leur place les vertus, soyez homme d’oraison, parce que c’est dans ce saint exercice que l’on reçoit l’onction et la grâce de l’Esprit-Saint, laquelle enseigne, toutes choses. De plus, si vous voulez monter à la cime de la contemplation et jouir des doux embrassements de l’Époux, exercez-vous à l’oraison, car elle est le chemin par où l’âme s’élève à la contemplation et au goût des choses célestes. Voyez-vous maintenant combien est grande la vertu et la puissance de l’oraison ? En preuve de tout ce qui vient d’être dit, sans parler du témoignage des divines Écritures, il suffit pour le moment de citer ce que nous avons vu et entendu, et ce que nous voyons chaque jour : des personnes simples, en grand nombre, ont obtenu tous les biens que je viens d’énumérer et d’autres encore plus relevés ; par quel moyen ? Par l’oraison. »
Saint Bonaventure
Traité sur « la vie parfaite », prier avec assiduité.
Veux-tu faire des progrès ? Exerce-toi à prier avec assiduité et dévotion. Misérable et inutile ce religieux qui, tiède et sans ferveur, ne se met pas souvent en prière : vraiment il n’apporte devant Dieu qu’une âme morte dans un corps plein de vie ! Puissance d’une prière fervente : utile à tout, elle permet de s’enrichir en toute circonstance, en hiver et en été, par beau temps et sous la pluie, de nuit et de jour, les jours de fête et les jours ordinaires; dans la maladie et en pleine santé, dans la jeunesse et dans la vieillesse, debout, assis et en marche, au chœur et hors du chœur ! Mieux : en une seule heure de prière, nous pouvons gagner plus que ne vaut le monde en son entier. Une petite prière fervente nous fait en effet acquérir le Royaume des cieux.
Saint Pierre d’Alcantara
Du fruit que l’on retire de l’oraison.
Où trouver, je le demande, un plus grand trésor que l’oraison ? Où rencontrer une mine plus riche et plus féconde ? Écoutez encore ce que dit un autre docteur très religieux et très saint, en traitant le même sujet : « Dans l’oraison, l’âme se purifie du péché, la charité se nourrit, la foi s’enracine, l’espérance se fortifie, l’esprit jubile, l’âme se fond de tendresse, le cœur s’épure, la vérité se découvre, la tentation est vaincue, la tristesse s’enfuit, les sens se renouvellent, la tiédeur disparaît, la rouille des vices est consumée ; de ce commerce naissent aussi de vives étincelles, des désirs ardents du ciel, et parmi ces étincelles brûle la flamme du divin amour. » Elles sont grandes, il faut en convenir, les excellences de l’oraison, ils sont admirables ses privilèges ! À elle les cieux s’ouvrent, à elle se révèlent les secrets, à sa voix l’oreille de Dieu est toujours attentive. Je n’en dis pas davantage. Ceci suffit pour que l’on ait une idée du fruit de ce saint exercice.
Sainte Thérèse d’Avila
De la constance dans l’oraison.
Il est souverainement important, quand on commence, d’avoir un ferme dessein de persévérer. Que de raisons j’en pourrais donner ! Mais, pour ne pas trop m’étendre, je me contenterai de deux ou trois.
Voici la première : quand Dieu est si libéral envers nous, et que nous lui apportons, nous, si peu, – notre pauvre petite application, – quand d’ailleurs nous n’y sommes pas désintéressées, mais que nous en retirons au contraire les plus précieux avantages, il convient que nous ayons une générosité entière et sans retour. N’imitons pas ceux qui prêtent avec l’intention de reprendre ; ce n’est pas la donner. Celui à qui l’on a prêté un objet éprouve toujours quelque ennui, quand on vient le lui réclamer, surtout s’il en a besoin et s’il s’est habitué à regarder cet objet comme sien, ou s’il a lui-même été cent fois généreux envers ce prêteur : dans ce refus de lui laisser entre les mains une chose de rien, même comme un témoignage d’amitié, il ne peut voir qu’une petitesse misérable d’esprit et de cœur. Quelle est l’épouse qui, après avoir reçu de son époux quantité de joyaux très précieux, ne lui donnerait un simple anneau, non pour son prix, puisqu’elle ne possède rien qui ne soit à lui, mais comme une marque qu’elle-même sera toute à lui jusqu’au dernier soupir ? Dieu mérite-t-il donc moins de respect que les hommes, et osera-t-on le traiter avec ce mépris, de lui retirer, à l’instant même, un faible don qu’on lui aura fait ? Hélas ! nous consumons tant d’heures soit avec nous-mêmes, soit avec d’autres, qui ne nous en savent point de gré ; qu’au moins ce peu de moments que nous consacrons à Dieu, lui soient donnés de bon cœur, et avec un esprit libre de toutes pensées étrangères. Donnons-les lui avec la ferme résolution de ne les reprendre jamais, quelques ennuis, quelques peines, et quelques sécheresses qui nous y arrivent. Considérons ce temps comme une chose qui n’est plus à nous et qu’on pourrait nous redemander en justice, si nous ne voulions pas le donner tout entier à Dieu.
Toutefois, ce n’est pas reprendre ce que nous avons donné que de discontinuer l’oraison un jour, ou même plusieurs, pour des occupations légitimes, ou pour quelque indisposition particulière. Il suffit que notre intention demeure ferme. Mon Dieu n’est pas étroit et ne s’arrête point aux minuties : vous donnez vraiment quelque chose, vous le donnez du reste de bon cœur ; il vous en saura gré. Quant à ceux qui ne sont pas généreux, qui ont la main si serrée qu’ils ne donnent jamais rien, c’est beaucoup qu’ils prêtent : qu’ils fassent enfin quelque chose. Notre Seigneur met tout en compte et s’accommode à notre volonté. Dans ses comptes avec nous, il ne chicane pas, il est large. Quelle que soit la balance du compte en sa faveur, il n’y regarde pas et nous abandonne tout. S’il nous doit quelque chose, il est si exact qu’il ne vous laissera pas sans récompense, quand vous n’auriez fait que lever les yeux au ciel et penser à lui.
La seconde raison pour laquelle nous devons persévérer dans l’oraison, c’est qu’alors il devient plus difficile au démon de nous tenter. Il craint beaucoup les âmes résolues ; il sait par expérience le dommage qu’elles lui causent ; il sait que tout ce qu’il fait pour leur nuire, tournant à leur profit et à l’avantage des autres, il ne sort qu’avec perte de ce combat. Nous ne devons pas toute fois nous abandonner à la sécurité, ni cesser de nous tenir sur nos gardes. Nous avons affaire à des ennemis perfides. Si, d’un côté, leur lâcheté les empêche d’attaquer ceux qui veillent sur eux-mêmes, de l’autre ils ont un grand avantage sur les négligents. Remarquent-ils de l’inconstance dans une âme, une volonté chancelante de persévérer dans le bien, ils ne cessent de la harceler ni de jour ni de nuit, et lui représentant difficultés sur difficultés, ils ne lui laissent pas un moment de repos. J’en parle avec connaissance de cause, parce que je ne l’ai que trop éprouvé ; et j’ajoute qu’on ne peut assez donner d’importance à cet avis.
J’arrive à la troisième raison de notre persévérance. On combat avec plus de courage, quand on s’est dit à soi-même que, quoi qu’il puisse arriver, on ne tournera jamais le dos. Tel un homme qui, dans une bataille, sait que, s’il est vaincu, il n’a pas de grâce à espérer, et que, s’il échappe à la mort, durant le combat, il lui faudra mourir après : il lutte avec plus de curage ; il veut, comme on dit, vendre chèrement sa vie ; il redoute moins les coups de l’ennemi, parce qu’il a cette pensée présente à l’esprit, qu’il ne vivra que s’il est vainqueur. Prenons aussi, dès le commencement de l’oraison, cette confiance absolue, qu’à moins de vouloir nous laisser vaincre, nos efforts seront couronnés du succès, et que, pour petite que soit notre part du butin, nous serons toujours très riches.
Ne craignez point que Notre-Seigneur vous laisse mourir de soif, lui qui nous invite à boire de cette eau. Je vous ai déjà dit cela, mais je ne saurais trop vous le rappeler, tant je désire vous prémunir contre le découragement où tombent les âmes à qui la bonté de Dieu ne s’est encore révélée que par la foi, et non par une connaissance expérimentale. C’est un immense avantage, que d’avoir éprouvé son amitié, et d’avoir senti les délices dont il inonde les âmes dans le chemin de l’oraison, faisant en quelque sorte lui-même tous les frais du voyage. Aussi, je ne m’étonne pas que les personnes qui n’ont point éprouvé ces faveurs, veuillent avoir quelque assurance que Dieu payera leurs sacrifices. Eh bien ! le divin Maître promet, vous le savez, le centuple dès cette vie ; et de plus, il dit : Demandez et vous recevrez. Que si vous n’ajoutez pas foi à ce qu’il affirme lui-même dans son Evangile, c’est en vain que je me romprai la tête à vouloir vous le persuader. Je ne laisse pas néanmoins d’avertir les âmes qui auraient quelque doute, qu’il leur en coûtera peu de tenter l’entreprise ; car elles acquerront bientôt la certitude que, dans ce voyage, nous recevrons plus que nous ne saurions ni demander ni désirer. Je sais que je dis vrai, et je puis produire pour témoins de cette vérité celles d’entre vous, mes filles, à qui Dieu en a donné une connaissance expérimentale. (Source : Sainte Thérèse d’Avila, Le Chemin de la perfection, chapitre 23).