Tout à tous… y compris aux prisonniers
Entrevue faite par James Langlois et parue dans la revue LeVerbe (édition sur la Visitation au printemps 2021, pages 50-51).
Né en Suisse dans une famille de six enfants, frère Manuel-André a connu les Franciscains de l’Emmanuel à Montréal alors qu’il y était pour une année de formation. Plus jeune, il a été touché par l’amour du Christ au point de vouloir lui donner toute sa vie. Cherchant une communauté religieuse qui s’occupe de la jeunesse et des plus démunis, il décide de rester au Québec et d’entrer dans cette communauté d’inspiration franciscaine. C’est aujourd’hui comme frère qu’il se rend dans une prison chaque semaine pour visiter les plus réprouvés de notre société et leur témoigner l’amour de Dieu.
En quoi la visite des prisonniers fait-elle partie du charisme de votre communauté ? Comment vous est venue l’idée et comment les visites se déroulent-elles concrètement ?
Notre charisme est de vivre la présence du Christ-Frère dans le monde avec la couleur du « être et vivre avec ». Nous étions déjà en contact avec les plus démunis, mais un jour, j’ai demandé à un ami prêtre, aumônier de la prison de Bordeaux à Montréal, si je pouvais y offrir mon aide. Il a accepté et j’y vais maintenant deux jours par semaine. Pour visiter les prisonniers, nous nous rendons dans les secteurs pour les saluer et parler avec eux; c’est à ce moment-là que, souvent, l’un ou l’autre demande de parler plus longuement. C’est avant tout une pastorale d’écoute où la personne incarcérée peut parler librement, dire ses souffrances, ses peines, ses joies, trouver un espace de dialogue où elle se sent écoutée sans jugement et sans peur.
Pouvez-vous nous décrire quelque peu le contexte de vos visites ? Qu’est-ce qui ressort de celles-ci ?
La prison de Bordeaux est une prison provinciale de 1500 personnes en temps normal. Donc, c’est pour des peines de moins de 2 ans, autrement, la personne incarcérée est envoyée au pénitencier fédéral. Il y a tous les types de prisonniers possibles dans cette prison, mais lorsque je rencontre un prisonnier, ce n’est pas ce qu’il a fait qui m’intéresse, c’est ce qu’il vit en ce moment et ce qu’il veut partager qui m’importe avant tout. Dernièrement encore, en visitant un secteur de porte en porte, je dis bonjour à un nouveau en lui demandant simplement comment il va et il se met à pleurer. C’est le temps de s’arrêter et d’être à l’écoute. Ils vivent souvent de grandes souffrances à l’intérieur d’eux-mêmes.
Nous rencontrons des gens de toutes confessions, et je dois dire qu’ils veulent souvent parler de Dieu. Ils nous demandent parfois une Bible ou un chapelet pour prier et ils nous interrogent fréquemment sur la foi, sur Jésus. Il y a en eux une recherche et une soif de s’en sortir. Plusieurs parmi eux ont eu une enfance brisée par toutes sortes d’évènements qui ont laissé en eux de profondes blessures. Je crois aussi que Jésus Christ peut venir les toucher et entamer en eux un chemin de guérison et de libération, sans l’aide duquel la vie serait impossible, je crois. Il m’arrive souvent de prier avec eux, et je remarque combien ils sont attentifs à ces moments-là.
Je crois vraiment qu’un prisonnier qui vit bien son temps d’incarcération peut expérimenter un changement, une croissance dans sa vie humaine et dans sa vie spirituelle. Ce peut être un temps de réflexion pour lui, un temps où souvent aussi il commence à se tourner vers Dieu et à découvrir que sa présence apporte la paix et la lumière. C’est cela que j’ai moi-même vécu lorsque j’avais 22 ans, c’est en me tournant vers Jésus que la lumière est revenue dans ma vie. J’en ai vu plusieurs s’engager véritablement dans un chemin de prière, en priant le chapelet, en lisant les Évangiles, et parfois même en allant voir le prêtre pour recevoir le sacrement de la miséricorde. Chacun marche à son rythme.
Qu’est-ce qui vous touche le plus dans ces rencontres et quels en sont les impacts sur votre relation avec Dieu ?
C’est la Parole de Jésus qui dit : « J’étais en prison et vous êtes venus jusqu’à moi ! » (Mt 25,36). Chaque visite me touche parce que je suis en contact avec la réalité de mon frère qui, lui, est en prison. Personnellement, je prie pour eux, et ces rencontres nourrissent ma vie de prière. Dernièrement, une rencontre m’a bouleversé : un prisonnier m’a expliqué à quel point c’était difficile et une grande souffrance pour lui d’arrêter de prendre de l’héroïne à l’extérieur des murs; il m’avouait que peut-être jamais il ne trouverait la force d’y arriver. Ils sont nombreux à me dire : « C’est la dernière fois, jamais plus je ne reviendrai en prison. » D’autres m’avouent parfois que ça fait plus de 20 ou 30 ans qu’ils sortent et reviennent en prison. C’est une étape de leur vie ici à Bordeaux, et l’équipe de la pastorale est là pour les accompagner vers une amélioration de leur vie.
À tous ceux et celles qui liront ce petit témoignage, merci de porter les prisonniers dans votre prière. Que Dieu vous bénisse !
frère Manuel-André, fe